Un avion décroche de 9000 mètres ? Les blaireaux vous mentent !

J’ai frôlé la crise cardiaque ! Et non, je n’étais pas en panique à bord de cet avion, mais bien dans mon lit quand j’ai lu cette « terrible » nouvelle avant d’aller dormir. Un événement est survenu récemment, sur un Boeing 767 de la compagnie états-unienne Delta Airlines. Le vol portait le numéro DL2353, et devait relier Atlanta à Fort Lauderdale. Bien entendu, nos médias préférés se sont empressés de relayer cette information intéressante… Enfin plus ou moins.

BFMTV, Cnews, Ouest-France, 20 minutes, LaDepeche.. Tous aussi pourris les uns que les autres. J’en oublie forcément d’autres, mais les articles se ressemblaient globalement, et racontaient bien entendu les mêmes balivernes. Quelques exemples :

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Ceux-ci nous indiquent qu’un avion a « décroché de 9000 mètres en 8 minutes » ou a « chuté » suite à une dépressurisation de la cabine… De quoi faire hurler, en plus des passagers, toute la communauté aéro… Mais de rire cette fois ! Et c’est sans compter l’image d’illustration qui montre un Boeing 757, alors qu’il s’agit d’un 767… Bref, on ne nous prendrait pas un peu pour des crétins ?

Qu’est-ce qu’un décrochage ?

Pour comprendre brièvement le décrochage, il n’y a point grand-chose de compliqué. Les avions (mais pas que), volent grâce à une force que l’on appelle la portance. C’est grâce à cette force, que les aéronefs peuvent se maintenir en vol. Plus l’angle d’incidence de l’aile est élevé (angle à cabrer), moins il y a de portance car l’écoulement de l’air ne se fait plus parfaitement au-dessus de l’aile. Pour compenser la perte de portance à angle d’incidence et altitude constants, il faut augmenter sa vitesse, et donc la poussée des moteurs. C’est la raison pour laquelle un avion consomme plus durant sa phase de décollage et de montée, étant donné l’angle d’incidence plus élevé qu’en croisière et en descente.

Si on en arrive à un angle d’incidence et une vitesse critique, il y a alors une diminution de l’écoulement d’air sur le dessus de l’aile, on perd la portance, et c’est le décrochage. Un avion qui décroche tombe littéralement comme une pierre. Lors d’un décrochage, l’avion ainsi que les commandes se mettent à vibrer, les gouvernes perdent en efficacité, et une alarme « Stall Stall » retentit dans le cockpit.

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Pour sortir d’un décrochage, il faut mettre la pleine puissance sur les moteurs, et pousser le manche vers l’avant pour mettre l’avion à piquer, afin qu’il récupère rapidement de la vitesse et de la portance. Ensuite, les pilotes n’auront qu’à tirer le manche pour remettre l’avion en palier. Bien évidemment, il faut un certain temps avant de pouvoir se stabiliser, et les quelques secondes nécessaires à la sortie du décrochage sont précieuses. Plus l’avion est haut, plus il y a de marge pour sortir d’un décrochage. Un décrochage à basse altitude est, en revanche, souvent fatal.

Les raisons d’un décrochage peuvent être multiples, en allant de la formation de givre sur les ailes, en passant par des informations de vitesses erronées, ou encore une erreur de pilotage…

Vous vous souvenez du vol AF447 Rio-Paris, qui s’est écrasé dans l’océan atlantique en 2009 ? Il avait décroché suite à une défaillance de ses tubes pitot, les sondes qui permettent de calculer la vitesse d’un avion. L’indication de vitesse n’étant plus fiable, qui plus est de nuit, l’inévitable s’est produit. Les pilotes n’ont pas réussi à reprendre le contrôle de l’appareil.

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F-GZCP – L’airbus A330 du vol AF447 – Photo : Pawel Kierzkowski

Quelques exemples d’autres crashs dont le décrochage a été plus ou moins déterminant :

  • Le vol National Airlines 102, en 2013
  • Le vol Colgan Air 3507, en 2009
  • Le vol Air France 296, en 1988… Ici, il n’y a pas eu de décrochage à proprement parler, mais l’avion s’est tout de même écrasé car il volait à la limite critique du décrochage, et n’a pas pu reprendre d’altitude à temps.

Les avions de ligne modernes disposent heureusement de technologies qui permettent d’éviter le décrochage dans certaines situations. On parle de la protection Alpha Floor sur Airbus, et du MCAS chez Boeing (qui n’est, comme vous êtes au courant, pas tout à fait au point sur la version MAX de son 737). Sur un cas de défaillance des sondes pitot comme pour le vol AF447, la donne est en revanche différente, puisque sans information de vitesse, seul l’homme a la possibilité de reprendre en main sa machine.

Que s’est-il réellement passé ?

Pas décrochage ici, mais une dépressurisation de la cabine. Pour faire simple, une dépressurisation c’est quand l’air présent en cabine s’échappe. Or, plus on monte en altitude, moins l’air est dense. Lorsque la pression à l’intérieur de la cabine commence à diminuer, c’est mauvais signe, et les masque à oxygène tombent. Il faut les enfiler rapidement pour éviter une éventuelle perte de connaissance.

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Masques à oxygènes sortis sur le vol DAL2353

 

Le stade le plus grave d’une dépressurisation est la décompression explosive. C’est très rare mais quand cela arrive, c’est généralement le signe d’une brèche qui s’ouvre dans le fuselage, et que l’air de la cabine s’échappe très rapidement.

Mais pourquoi parlent-ils d’un décrochage ?

C’est la question que l’on peut se poser. L’avion est descendu rapidement, ok, mais cela n’a ABSOLUMENT RIEN À VOIR avec un décrochage ! Les journalistes, qui nous ont tous pondu plus ou moins la même chose, n’ont très certainement pas la moindre connaissance nécessaire pour aborder un tel sujet, même simplement… C’est bien dommage. Mais pourquoi alors utiliser des termes complètement déplacés, qu’ils ne connaissent même pas, et puis surtout qui laissent penser au pire ? J’attends la réponse…

S’il y a bien une chose de vraie, là dedans, c’est que l’avion est descendu rapidement… Du moins, au début. À 20:34 UTC, l’avion se trouvait à 39.000 pieds (11.900 mètres), et il est bien descendu à 10.000 pieds (3000 mètres) en 8 minutes.

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Sur le graphique ci-dessus, il est facile d’identifier le moment où l’avion est descendu. Le trait supérieur indique la vitesse, le trait inférieur, l’altitude. Les données fournies ne sont horodatées que minutes par minutes, mais globalement, l’avion a atteint une vitesse de descente maximale enregistrée à 7.300 pieds (2.200m) par minute , au maximum durant 2 minutes. Certes, cela surprend et fait sûrement remonter l’estomac, mais la descente s’est ensuite poursuivie entre 3.500 et 1.500 pieds/minute en moyenne, ce qui est loin d’être excessif.

Les masques à oxygène fournissent environ 12 minutes d’oxygène, raison pour laquelle les pilotes entament une descente rapide en cas de problèmes liés à la pressurisation. En cas d’une dépressurisation rapide, une dizaine de secondes suffisent à vous faire perdre conscience à haute altitude. J’en profite pour vous rappeler qu’il est important de suivre les consignes de sécurité au début du vol. Elles pourraient vous sauver la vie et indiquent notamment la façon d’enfiler son masque.

Pour vous donner un exemple, l’Airbus A310 Zero G qui effectue des vols paraboliques, encaisse des descentes allant jusqu’à -23000 pieds par minute… Le 767 était encore bien loin de la chute libre.

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Airbus A310 Zero G – F-WNOV

Cela n’est pas si rare

La dépressurisation n’est pas extrêmement rarissime non plus. Il s’en produit de temps à autre sur des avions. Elles sont souvent bénignes, et sans aucune conséquence sur la santé des passagers. En général, elles sont détectées suite à une alarme retentissant dans le cockpit, et ce sont parfois même de fausses alarmes.

Alors oui, cela reste un incident et il est tout à fait normal que les passagers aient eu peur ! En revanche, ce n’est pas pertinent de jauger cet incident comme étant d’une extrême gravité en se basant sur le témoignage des passagers. Ce serait un peu comme qualifier un grand huit de dangereux sous prétexte que des personnes crient de peur durant les loopings, voyez-vous ?

Si aucun des pilotes n’a communiqué juste avant, ni durant la brutale descente, c’est tout simplement car ils ont des procédures à suivre, et avertir les passagers ne fait pas partie des priorités.

Il est difficile de trouver des chiffres plus récents, mais un rapport publié par FlightSafety en 2006, dénombre en moyenne 25 problèmes de pressurisation par an entre 1995 et 2004.

Quelle réaction quand on est alerté d’une perte de pressurisation ?

Le premier réflexe est bien entendu de descendre le plus rapidement à une altitude de sécurité. En général, aux alentours de 10.000 pieds, ce qui a été le cas du 767. A cette hauteur, l’air est respirable sans masques, et donc sans risques pour la santé. Les pilotes sont ensuite restés 15 minutes à cette altitude le temps  d’approcher de leur aéroport de déroutement. Ils ont procédé à une approche classique et se sont posés normalement sur l’aéroport de Tampa, en Floride.

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Trajectoire d’approche de l’avion sur Tampa

Là où la situation peut se compliquer, hormis la décompression explosive, c’est si aucune alarme ne se déclenche dans le cockpit, ou qu’elle est ignorée. Une décompression lente ne se remarque pas forcément, et l’hypoxie peut rapidement survenir. Un cas marquant fut le vol Helios Airways 522. Une décompression lente, c’est exactement ce qui est arrivé. L’alarme s’est bien déclenchée dans le cockpit mais les pilotes l’ont mal interprétée; et ont continué le vol. En cabine, les masques se sont bien déployés, mais pas dans le cockpit, puisque les pilotes doivent le sortir et l’enfiler d’eux-mêmes. Ils ont naturellement perdu connaissance sans même s’en rendre compte, suite à une hypoxie. Quant aux passagers, ils ont fini par subir le même sort, car les masques à oxygène ne peuvent fournir indéfiniment de quoi respirer. La suite a évidemment été tragique. Toutes les personnes à bord étant inconscientes, l’avion « fantôme » a continué sa route jusqu’à l’épuisement de son carburant…

Certains avions récents disposent aujourd’hui d’un mode de descente automatique vers une altitude de sécurité, en cas de détection d’une perte de pressurisation, et sans réaction des pilotes. Les cas d’accident des suites d’une dépressurisation sans réaction sont extrêmement rares. En 1999, un Learjet 35 s’est écrasé par manque de carburant, et alors que toutes les personnes à bord avaient perdu conscience par hypoxie.

« Les ennuis continuent pour l’avionneur américain »

Oui, et non… Si la presse aime taper sur Boeing, ce qu’ils oublient c’est que les problèmes de dépressurisation touchent tous les types d’appareils. Le rapport d’enquête nous donnera bien sûr des réponses, mais d’ici là, tout le monde aura oublié cette « catastrophe »…

Néanmoins, le Boeing 767 est entré en service en 1982, et 1988 pour la version 300ER. Concernant l’avion impliqué, immatriculé N1608, il est sorti d’usine en 2000. Il a donc 19 ans depuis sa mise en service.

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Boeing 767 impliqué, immatriculé N1608. Photo : Robert Underwood

Ainsi, il y a peu de chances que la panne vienne d’un problème de conception inhérent à l’avionneur Boeing. L’usure d’une pièce ou un défaut de maintenance sont, dans ces cas-là, les causes les plus plausibles. Donc les ennuis continuent pour Boeing ? Pas vraiment, non.

Encore et encore…

Une fois de plus, je râle, oui, contre ces rédacteurs qui traitent des sujets alors qu’ils n’y connaissent absolument rien. Les mots sont ce qu’ils sont, et je trouve aberrant le fait de vouloir informer…pardon, DÉSINFORMER les gens d’une telle façon.

Non, l’avion n’a pas décroché ! Non, l’avion n’a pas chuté ! Par pitié, arrêtez ce traitement sensationnel et inutile. Pourquoi effrayer le public pour un événement qui, dans le fond, n’avait pas de raisons de mettre la vie de quiconque en danger ?

Bien entendu, tout n’est pas toujours à jeter non plus, mais à voir le traitement médiatique de l’aviation dans les médias classiques, je me questionne sérieusement sur la confiance que l’on peut leur accorder lorsqu’ils traitent des sujets auxquels on ne s’intéresse pas forcément. Restons tout de même honnêtes, tous les journalistes ne sont pas à mettre dans le même panier. J’ai déjà pris plaisir à lire d’excellents articles traitant l’aviation sur BFMTV, par exemple, mais c’est triste de souvent tomber vers de tels niveaux d’incompétence. J’ai honte pour eux.

Et cet avion alors, il est tout cassé ? A en croire le vent de panique de nos chers confrères, oui mais… Non ! (coucou Mylène Farmer). L’avion s’est posé à Tampa le 18 septembre à 17:00 heure locale, il a été inspecté par des techniciens puis est reparti le lendemain à 14:00, destination Atlanta, en croisant à une altitude de 36.000 pieds.

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Il n’a pas volé le 20 septembre, et à l’instant même où j’écris cet article, le 21, il est en vol et a repris son service commercial. Et que nous soyons clairs, je ne dis pas qu’un incident de ce type est à prendre à la légère. Il convient seulement d’en savoir un peu plus avant d’en tirer des conclusions inutilement terrifiantes. A vous d’en juger, c’était si grave que ça docteur ?

3 Comments on “Un avion décroche de 9000 mètres ? Les blaireaux vous mentent !”

  1. Sur aviation, un expert, peut être, mais sur l’informatique, c’est pas encore ça, lire sur bfmtv qui est une chaîne, c’est dur, mais bfmtv.com à la rigueur, mais connaissant le peu professionnalisme de bfm, il me faudra des cas concret.

    1. Ce site est focalisé sur l’aviation, pas sur l’informatique. Les journalistes traitent de tous les sujets, et devraient par conséquent s’informer au lieu de raconter des âneries. Les rédacteurs de Dataero, eux, traitent exclusivement de l’aviation, et ne vont pas forcément s’intéresser à des sujets… hors-sujet *tousse* avec l’aviation: il n’y en a aucun intérêt.

      Cdt

  2. Bonjour 🙂

     » l’inévitable s’est produit » => Tout le monde n’est pas de cet avis, à commencer par le BEA qui a conclu quelque chose du genre : « Apprenez aux pilotes à piloter ! ».

    Voir le rapport :
    https://www.bea.aero/docspa/2009/f-cp090601/pdf/f-cp090601.pdf

    Section « 5.1.3 Formation des équipages »
    – Vol haute altitude en loi alternate.
    – Approche du décrochage avec déclenchement de l’alarme STALL.
    – Atterrissage sans indications anémométriques.

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