Monoxyde de carbone : l’ennemi invisible des pilotes

On pourrait le comparer à la faucheuse. Le monoxyde de carbone est l’ennemi fourbe des pilotes, mais savez-vous de quoi il s’agit ? Découvrons ensemble les problématiques de ce gaz, et comment il peut compromettre la sécurité des vols.

Qu’est-ce que le CO ?

Le monoxyde de carbone (CO) est une molécule composée d’un atome de carbone et d’un atome d’oxygène.

Molécule de CO
Schéma atomique du CO

Le monoxyde de carbone est un gaz inodore, incolore, insipide et non irritant. Ce sont ces caractéristiques qui le rendent vicieux et si dangereux.

Quelle est son origine ?

La création du CO est le produit d’une combustion incomplète !

Lors de la combustion d’un combustible carboné, que ce soit du bois, du charbon, du butane ou de l’essence par exemple, le résultat parfait théorique produit du CO2. Mais lorsque l’apport en oxygène est insuffisant, on dit  que la combustion est incomplète et il y a alors formation de CO.

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Même avec des moteurs d’avions modernes, il est malheureusement impossible d’obtenir une combustion absolument parfaite. Hors défaut au sein du moteur, il y a toujours une éjection de CO, estimée entre 5 à 7% en sortie d’échappement d’u moteur à piston.

À noter, c’est la première cause de décès par intoxication en France. Elle touche chaque année 1000 foyers et plus de 3000 personnes, dont une centaine de décès. Les causes sont souvent des défaillances ou un mauvais entretien d’éléments comme un four ou un système de chauffage (cheminée, poêle à bois, charbon, gaz, pétrole…).

Sources du monoxyde de carbone

Le danger en avion

Pourquoi ce gaz est-il si dangereux en avion ? Nous l’avons vu, il possède des caractéristiques le rendant indétectable par l’homme, ce qui en fait un ennemi tout désigné pour les pilotes.

À bord d’un avion léger, vous l’aurez compris, la source de monoxyde de carbone sera le produit de la combustion du moteur. De nombreux cas d’incidents et accidents graves sont la cause d’une infiltration de gaz d’échappement au sein de l’habitacle. Quelques exemples de causes :

  • Une étanchéité imparfaite ou défaillante de la cabine
  • Un défaut technique du moteur entraînant la création d’un taux anormal de CO
  • Un défaut d’étanchéité sur le circuit d’échappement et/ou de chauffage (fissure, trou, conduit mal fixé…)

Quelques secondes d’inhalation suffisent à déclencher des symptômes qui peuvent vous rendre rapidement inopérant. Il est possible d’en mourir en l’espace de quelques minutes.

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Quels sont les symptômes ?

Lorsque vous inhalez du monoxyde de carbone, celui-ci pénètre dans votre sang au travers des poumons. L’affinité du CO pour l’hémoglobine est environ 250x supérieur à l’oxygène. Ainsi, il viendra se fixer beaucoup plus facilement à l’hémoglobine et former ce que l’on appelle la carboxyhémoglobine (HbCO).

L’oxygène n’atteindra lui plus vos cellules. C’est pourquoi une quantité même infime de CO dans l’air peut être à l’origine d’une grave intoxication.

Le premier signe qui devrait vous inquiéter c’est une odeur de gaz d’échappement. Enfin, les  premiers symptômes qui doivent vous mettre en alerte sont des vertiges, nausées, difficultés à respirer, fatigue, maux de tête, perte de lucidité…

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Ce tableau est donné à titre indicatif et dépend évidemment de la durée d’exposition et des individus. Un faible taux peut mener à une augmentation progressive des symptômes, tandis qu’une exposition soudaine très élevée pourrait mener à la perte de connaissance puis au décès en 1 à 3 minutes.

Comment réagir ?

Nous l’avons vu, les conséquences d’une inhalation de CO sur le corps sont extrêmement rapides. Chaque seconde compte et votre réaction en vol doit être immédiate.

Transpondeur d'un avion
Transpondeur 7700
  • Aérez la cabine. Si vous le pouvez, ouvrez la verrière, les vitres, la ventilation ou tout autre moyen pour faire entrer de l’air frais.
  • Coupez le chauffage s’il est enclenché.
  • Atterrissez en urgence sur le terrain le plus proche
  • Si vous êtes en contact avec un contrôleur et que vous vous sentez mal, demandez une assistance médicale.
  • Une fois au sol, si cela n’a pas été fait, contactez les secours ou à défaut, rendez vous à l’hôpital. Ne prenez pas le volant pour vous y rendre.

Comment prévenir les risques ?

Le premier point est évidemment une maintenance adaptée et minutieuse des systèmes d’échappement et d’étanchéité lors des visites d’entretien. Mais sur ce point, un pilote lambda n’a pas la main.

Le second point c’est d’équiper votre avion à minima d’un patch détecteur de monoxyde de carbone. Il se présente sous la forme d’une mini carte d’environ 5×5 cm. Le fonctionnement est simple. En cas de présence de monoxyde de carbone, la pastille orange s’assombrit.

Pastille de détection de monoxyde de carbone
Détecteur de monoxyde de carbone

Si votre avion n’en possède pas (ce n’est pas obligatoire), n’hésitez pas à demander au club d’en installer. Le prix est de 5 à 6€ pièce, pour une durée de vie de 12 mois. Un prix négligeable pour un objet indispensable… Encore faut-il penser à le regarder !

Il existe également des détecteurs numériques, plus précis, munis d’une alarme.

Enfin, si vous constatez une odeur de gaz d’échappement au sol ou en vol, et/ou le début d’un ou plusieurs symptômes que vous connaissez désormais, observez la pastille, et posez-vous le plus rapidement possible. Un changement même minime de la couleur du patch doit vous alerter.

Quels sont les traitements ?

Le seul traitement contre une intoxication au CO consiste en l’inhalation d’oxygène à forte concentration. Si l’intoxication est vraiment forte, un traitement en caisson hyperbare peut être envisagé.

Femme portant un masque à oxygène

Autrement, naturellement, l’élimination du CO se fait par voie pulmonaire lors de l’expiration. Chez un adulte en bonne santé, ce taux chute de moitié en 4 heures environ (jusqu’à 1 jour pour un fœtus).

L’apport d’oxygène via un masque réduit ce temps à 30 minutes et permet de limiter les conséquences sur le corps. Ce traitement peut durer plusieurs heures selon le niveau d’exposition. Chez la femme enceinte, le fœtus peut être gravement atteint et souffrir de déformations et problèmes neurologiques.

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Il est important d’être pris en charge rapidement en cas de soupçon avéré d’une intoxication au monoxyde de carbone. Un suivi médical est généralement mis en place les semaines suivantes, car des séquelles peuvent survenir, selon les individus, quelques jours à quelques semaines après. C’est ce que l’on appelle le syndrome post-intervallaire.

La victime peut alors présenter des troubles neurologiques (céphalée, troubles de la mémoire, concentration, sphincters, maladie de Parkinson…), mais aussi psychiatriques (anxiété, dépression, troubles cognitifs majeurs invalidants…). Ces troubles disparaissent généralement avec le temps mais il existe des cas irréversibles. 

Et maintenant ?

N'ayez pas peur

Oui, n’ayez pas peur ! Vous n’irez pas à l’hôpital après chaque vol… Le risque est certes minime, mais il existe et n’est pas forcément très bien enseigné au cours des formations de jeunes pilotes.

N’hésitez pas à partager l’information autour de vous. Vous avez désormais toutes les clés en main pour ne pas vous faire piéger.

Quelques incidents

Incident d’un DR400 à Cambrai le 6 décembre 2014

Appareil : Robin DR400-120
Nombre de personnes à bord : 3 : Pilote + instructeur + pilote à l’arrière
Contexte : Vol d’instruction au VFR de nuit

cockpit de nuit
Cockpit d’un DR400 de nuit

Synopsis : Au décollage, passant 500 ft, le pilote signale à son instructeur qu’il ne se sent pas bien et lui transfère les commandes. Le pilote situé à l’arrière et l’instructeur sont également pris de malaises. Pris de difficultés à contrôler se membres, de vertiges et de nausées, l’instructeur effectue un demi-tour à grande inclinaison pour atterrir le plus rapidement possible à contre QFU, pendant que le pilote à sa gauche ouvre la verrière à 1/3 pour aérer la cabine.

L’instructeur décrira qu’au moment du toucher, il était dans un état de léthargie, à la limite de l’endormissement. Au sol, la pastille de détection de CO était noire.

Les pompiers sont intervenus rapidement et les 3 pilotes ont été placés sous oxygène, puis évacués à l’hôpital. Le taux de CO dans le sang s’élevait à 18, 12 et 10% pour les 3 hommes.

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VSAV. Photo : Crochet.david

Retour quelques minutes avant le départ : L’instructeur avait constaté qu’après la mise en route et les essais moteurs, la pastille lui avait semblé moins pâle que d’habitude. Étant de nuit et le cockpit mal éclairé, il vérifie à l’aide de la lumière de son téléphone portable mais les conditions ne sont pas idéales pour bien observer la pastille. Dans le doute, il sera précisé au briefing  de prévenir si l’un des pilotes à bord ressent le moindre effet pendant le vol.

Des défauts d’étanchéité associés à une usure d’éléments du moteur sont notamment à l’origine de l’incident.

Source : https://bea.aero/fileadmin/uploads/tx_elydbrapports/BEA2014-0039.pdf

Incident d’un Jodel DR221 à Saint-Cyr-l’École le 26 mars 2010
Avion
Jodel DR221. Photo : Alexandre DAMIENS

Synopsis : 1 minute après le décollage, l’instructeur constate des odeurs de gaz d’échappement et observe que le détecteur de CO est positif. Il vérifie que le chauffage est bien désactivé. Il informe alors le contrôleur et se reporte en vent arrière en vue d’un complet. Au roulage, ils entrouvrent la verrière et rejoignent le parking.

La veille, l’instructeur avait annulé son vol après avoir constaté que le détecteur avait changé de couleur après les essais moteurs. Un nouveau détecteur avait été mis en place.

Une inspection de l’avion décèlera une absence de joints en silicone sous le fuselage, à l’emplacement des attaches des silencieux des collecteurs d’échappement. Cela permettait aux gaz d’échappement de pénétrer dans la cabine.

Source : https://www.bea.aero/fileadmin/documents/docspa/2010/f-rt100326/pdf/f-rt100326_05.pdf

Incident d’un Partenavia P68 le 10 avril 2018

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Partenavia P68. Photo : JeanClaude@S

Le pilote décolle de l’aérodrome de Châteauroux-Déols, où l’avion était en maintenance, à destination de sa base de Pontoise Cormeilles-en-Vexin.

Alors que l’avion est en croisière, le pilote met le chauffage. Rapidement il est pris de nausées, de maux de tête et de vendre. Il constate que la plaquette de CO a viré de couleur. Il éteint alors le chauffage, ouvre l’écope latérale du pare-brise et se déroute vers la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy, au plus proche de sa position.

Après l’atterrissage, le pilote sera évacué à l’hôpital où il sera oxygéné et gardé en observation pendant 2 heures.

Les tests ont effectivement démontré des émanations de CO à l’intérieur de l’avion, mais n’ayant pas de rapport avec le système de chauffage indépendant des moteurs.

Plus de détails à la source : https://www.bea.aero/uploads/tx_elydbrapports/BEA2018-0207_01.pdf

Quelques autres rapports :

Ici : https://www.bea.aero/fileadmin/uploads/tx_elydbrapports/BEA2018-0723.pdf

Et là : https://www.bea.aero/les-enquetes/evenements-notifies/detail/incident-grave-du-vulcanair—partenavia-p68-immatricule-ec-mpp-survenu-le-07-07-2018-a-moulins-montbeugny-03/

Que nous enseignent ces divers événements ?

D’abord que des signes sont parfois détectés prématurément au sol (odeurs de gaz d’échappement, couleur de la pastille après les essais moteurs…).

Également, dans de nombreux incidents, les effets physiologiques apparaissent très rapidement, parfois quelques secondes à peine après le décollage… Et les conséquences désastreuses peuvent, nous l’avons vu, mener jusqu’à une quasi-incapacité de piloter donc potentiellement l’accident. Soyez vigilants !

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