Ce 31 juillet 2023, le journal Var-Matin publiait un article à faire éclater de rire n’importe quel amateur d’aviation tant il est rempli de désinformation.
Pire encore, le site Air-Journal censé être spécialisé dans l’aérien ne s’est pas privé de la « nouvelle ».
Si vous êtes un fidèle lecteur de Dataero, vous avez peut-être l’habitude de quelques articles venant rectifier les grossièretés de nos journaux préférés.
Pour être honnête, en voilà un qui m’a fait bondir, et qui est un des pires de tous les articles que j’ai vu traitant d’aviation, écrit par un « journaliste » ayant peut-être autant de connaissances en aviation que j’en ai de l’éconophysique ou de la reproduction des Esturgeons de l’Adriatique.
Trêve de moquerie, bien que le monde aquatique soit aussi passionnant, débunkons ensemble le ramassis d’inepties de cet article de Var-Matin.
« Le pilote a complètement craqué »
En voilà une belle introduction, qui pourrait déjà laisser à penser qu’un pilote de ligne puisse « craquer » et faire ce que bon lui semble aux commandes de son avion. Pour rappel, il y a 2 pilotes à bord d’un avion de ligne de ce type. Inutile de parler du pilote au singulier, ça ne fait aucun sens.
L’aérien est un milieu très encadré et à aucun moment les pilotes n’ont pu ne serait-ce qu’avoir l’idée de s’amuser à faire ce que bon leur semble sans autorisation.
« Voilà une façon originale de contester une décision. Le 28 juillet dernier, le pilote du vol de la Lufthansa Francfort-Catane, n’a pas reçu l’autorisation d’atterrir sur l’aéroport sicilien. »
Les pilotes ont bien reçu l’autorisation d’atterrir, et ce à 2 reprises. Preuve en est, le graphique d’historique fourni par Flightradar24. Une première tentative d’atterrissage à 15:00 UTC s’est soldée par une remise de gaz, suivie d’une deuxième à 15:25.
À aucun moment donc ils n’auraient « pas eu l’autorisation d’atterrir », puisque leurs 2 tentatives d’approche sur Catane montrent le contraire. Aucune décision n’a non plus été contestée. On ne comprend pas d’où ça sort.
« La cause? Des vents violents qui ont soufflé toute la journée sur le tarmac de Fontanarossa. »
Peut-être la seule chose correcte ici. En effet, du cisaillement de vent (wind shear, abrégé WS dans le METAR) a été signalé pour la piste 08, malgré des vents relativement calmes au sol.
14:50-> METAR LICC 281450Z 08007KT 040V140 CAVOK 33/19 Q1014=
15:20-> METAR LICC 281520Z 05008KT CAVOK 31/21 Q1013 WS R08=
15:50-> METAR LICC 281550Z 25012KT 220V280 CAVOK 34/16 Q1014 WS R08=
Le vol a alors reçu pour instruction de se détourner vers Malte.
Beaucoup de choses à dire pour 2 phrases. D’abord, le vol n’a pas reçu d’instruction d’aller vers Malte. Avant même le décollage lors de la préparation d’un vol, des aéroports de déroutement sont prévus en cas d’impossibilité de se poser sur la destination initiale. Le choix de se dérouter vers Malte est une décision de l’équipage et non des contrôleurs aériens.
Une fois de plus, un journaliste confond « déroutement » et « détournement ». Un détournement est un acte volontaire extrêmement grave visant à contraindre les pilotes de changer de trajectoire. C’était le cas lors des attentats du 11 septembre par exemple.
Nous avons ici affaire à un déroutement, qui est une procédure classique pour laquelle les pilotes sont formés. L’usage du bon mot est primordial, les deux ayant des significations diamétralement opposées !
Une décision qui a déclenché la colère du pilote de l’Airbus.
Donc pour reprendre ce que je disais, le choix de se dérouter vient des pilotes et non des contrôleurs aériens.
Peut-être les pilotes étaient-ils mécontents de n’avoir pu poser à destination, on ne sait pas. Il n’est jamais marrant pour un équipage de devoir effectuer plus de rotations que prévu dans la journée et débaucher plus tard… Mais qu’importe, cela fait partie des aléas de l’aérien et il est absolument RIDICULE d’affirmer dans un article pareil qu’un pilote ait été en colère à la suite de cela. Ils ont agi très professionnellement, en accord avec les procédures et les règles de l’air.
Au moment de changer de trajectoire pour se diriger sa nouvelle destination, il a alors effectué en parcours en forme de p*nis à proximité de Catane avant de reprendre la direction de Malte.
Comme le montre le replay du vol, la phase de déroutement est intervenue APRÈS la deuxième tentative d’approche. La trajectoire en forme de p*nis n’a aucun rapport avec une quelconque décision.
Repéré par des internautes, le trajet facétieux a rapidement fait le tour des réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux seraient-ils la source de cet article ? Et bien oui ! À la fin de l’article, ce tweet écrit en italien est mentionné :
Oggi il volo Lufthansa Francoforte-Catania è stato dirottato a Malta per il vento ma a giudicare dal circuito di attesa pare che il pilota non l’abbia presa benissimo pic.twitter.com/4K95RcT3XW
— Ste (@unpotoscano) July 28, 2023
Traduction en français : Aujourd’hui, le vol Lufthansa Francfort-Catane a été dérouté vers Malte en raison du vent, mais à en juger par le circuit d’attente, il semble que le pilote n’ait pas très bien pris la chose.
Un simple tweet faisant probablement une touche d’humour sur la fin est à l’origine d’un article complètement fantaisiste du journal Var-Matin, vous avez bien entendu…
Mais pourquoi donc cette trajectoire ?
Après la première tentative d’atterrissage avortée en piste 08, les pilotes ont bien suivi la procédure aux instruments publiée qui prévoit un circuit d’attente après la remise de gaz (voir carte d’approche ci-dessous).
La trajectoire réelle correspond parfaitement à la procédure publiée, à savoir un virage par la gauche, pour rattraper une attente main droite après la montée initiale. Le circuit d’attente a été effectué à 5000 pieds.
Peu après, l’avion est redescendu pendant plusieurs minutes vers le sud. Les contrôleurs l’ont pris en guidage radar pour, semble-t-il, ne pas interférer avec plusieurs départs en 08 comme on peut voir l’un d’entre eux encadré ci-dessous.
Une fois assez espacé avec un second départ (aussi encadré en rouge), un nouveau cap sera donné afin d’intercepter la finale de la piste opposée à la première : la 26.
Et voilà comment, des pilotes qui faisaient tout à fait normalement leur travail, se voient qualifiés de colériques et passent pour des ridicules à cause de ces « journalistes » de la honte. À aucun moment contrôleurs aériens ou pilotes n’avaient même conscience de cette forme phallique au radar qui n’est rien d’autre que le fruit du hasard.
Enfin, les pilotes Lufthansa n’étaient pas les seuls à avoir eu des difficultés à atterrir ce jour-là, puis que la lecture en replay dévoile notamment un vol easyJet ayant interrompu son approche en 08 juste avant, pour finalement se poser par l’autre côté
L’on peut d’ailleurs voir sur la capture juste derrière notre fameux vol Lufthansa.
Pour conclure, je dirais que cet article, pourtant écrit par le « responsable du service digital du groupe Nice-Matin » n’est rien d’autre qu’un déchet, traitant un truc aussi banal que ça dans l’aérien… Alors imaginez quand ils parlent de sujets plus sérieux.
Quant à Air-Journal, je n’ai pas les mots. Voilà un site qui perd toute crédibilité. Je trouve choquant de voir de telles stupidités venant d’un site pourtant exclusivement dédié au transport aérien.
C’est le temps des guignol de l’info..!!!
« On ne discute pas avec les brouettes, on les pousse ».. !!)
Merci de votre mise de votre mise au point.
Amitiés Aero.
Jm
Si vous saviez la quantité d’inepties que les journaleux produisent quand ils parlent du monde ferroviaire, pareil !